Personne n’est parfait : responsables marketing et dirigeants sont constamment à la recherche de nouveaux leviers pour générer davantage de trafic dans l’espoir de le convertir en opportunités d’affaires. Orgueil ou vanité, manque d’accompagnement, peur des nouveaux paradigmes, tentative d’hypnose des actionnaires ou simple logique quantitative pour justifier son action, les chiffres nous ramènent toujours à la réalité.
Avec en moyenne un taux de rebond de 80% sur une page d’accueil, 1% de taux de conversion qui fournit 55% de leads hors cibles ou fantaisistes, 40% éventuellement concernés par votre offre et pouvant à tout moment partir à la concurrence ou renoncer provisoirement à l’achat et seulement 5% de prospects prêts à acheter et potentiellement livrables à vos commerciaux, seuls les meilleurs d’entre eux parviendront à en transformer 1 sur 4 en clients.
Soit une équation qui nécessite 10 000 clics ou visites pour obtenir une seule vente à court terme et une déperdition énorme à chaque stade du processus de conquête.
Comment peut-on limiter la volatilité de son audience, la perte d’attention des cibles, le défaut d’assiduité de ses leads et la démission des prospects en phase finale ?
En renfort des techniques d’optimisation qui améliorent considérablement la performance (hyper-segmentation des campagnes de trafficking et des pages d’atterrissage, contenus adaptés aux étapes du cycle d’achat et aux profils des acteurs de la décision, tests A/B, ergonomie, analyse comportementale, scoring, lead nurturing…), la psychologie sociale nous apporte une fois de plus une aide précieuse dans la connaissance des mécanismes de la prise de décision et des méthodes pour maintenir la persévération d’un comportement dans le temps.
La théorie de l’engagement
Selon Charles Kiesler, père de la théorie de l’engagement (The Psychology of Commitment, 1971), l'engagement est le lien qui unit l'individu à ses actes. Celui-ci n’est pas engagé par ses attitudes, croyances ou émotions, mais par ses conduites effectives lorsqu’elles ne peuvent être imputables qu’à lui-même.
En France, les chercheurs Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois ont longuement étudié les facteurs psychologiques qui influencent l’individu pour obtenir ce qu’on attend de lui tout en gardant l’illusion de son libre-arbitre ainsi que les mécanismes qui le font adhérer à sa décision (rationalisation, effet de gel).
Quels sont les leviers qui favorisent la poursuite d’un comportement dans la durée (par exemple, manifester un intérêt pour une entreprise jusqu’à la réception d’une proposition commerciale et la phase de closing) ?
Joule et Beauvois ont dénombré neuf facteurs décisifs qui produisent de l’engagement (La soumission librement consentie, 1998, 2006).
1. Le caractère public de l’acte
Un acte socialement visible est plus engageant qu’un acte anonyme. Comment rendre publique l’activité relationnelle d’un prospect ? Sur le stand d’un salon professionnel, lors d’un petit déjeuner ou un évènement d’entreprise, encourager les relations interpersonnelles entre participants pourra constituer l’amorce d’une visibilité publique. Pour le online, réseaux, forums, hubs et communautés sauront rendre visibles les mises en relation ou les demandes d’informations. L’interne a aussi une influence : dès lors qu’une information positive sur un fournisseur commence à circuler, les circuits hiérarchiques pèsent fortement sur la visibilité de la démarche.
2. Le caractère explicite de l’acte
Une proposition claire et sans ambiguïté engage davantage. Toute interprétation possible génère inconsciemment de l’incertitude et fragilise le maintien de la décision dans le temps. La promesse liée à l’incitation à l’action pour remplir un formulaire ou l’offre commerciale promue doivent être des modèles de transparence et de réassurance.
3. L’irrévocabilité de l’acte
Les actes irrévocables engagent davantage que ceux qui ne le sont pas. Nous sommes moins engagés si nous pouvons revenir facilement sur une décision. Le temps joue aussi un rôle : l’engagement est plus fort sur le court terme. Lors d’un processus de génération de leads, le prospect qui s’inscrit à un webinar ou télécharge un eBook peut évidemment renoncer à la présentation ou à la lecture du document. Mais faire venir un prospect dans ses locaux est plus efficace que d’aller à sa rencontre : il pourra difficilement se dérober une fois la porte franchie.
4. La répétition de l’acte
Un acte que l’on répète engage davantage qu’un acte réalisé une seule fois. Les programmes de lead nurturing ont un ici rôle décisif par l’élaboration de scénarii relationnels progressifs tout au long du cycle d’achat. Un prospect accompagné dans le temps par des propositions de contenus adaptés va interagir et collecter de l’information de manière récurrente.
5. Les conséquences de l’acte
Plus les conséquences d’un acte sont réelles et prévisibles pour autrui ou pour soi-même, plus l’acte est engageant. Or, l’acte d’achat en b2b est souvent une prise de risque à la fois pour l’entreprise (risques organisationnels, financiers ou d’image) et l’individu (risque sur son emploi en cas de mauvaise décision).
6. Le coût de l’acte
Le niveau d’engagement augmente avec le coût de l’acte. Les variables sont essentiellement quantitatives : montant des investissements, quantité de ressources internes à mobiliser, durée d’un processus… Dans une phase d’avant-vente par exemple, proposer au prospect un diagnostic de base (gracieux et sans engagement…) mais qui l’oblige à rassembler de l’information en interne de manière transversale constitue un coût pour lui-même et l’entreprise. Il aura tendance à vouloir « rentabiliser » cet investissement. C’est sans doute ce qui explique l’irrésistible ascension des modèles low-cost : au-delà de l’attractivité des prix bas, le client contribue lui-même à la production de la prestation qu’il achète.
7. Les raisons d’ordre externe
Les raisons externes désengagent, qu’elles soient récompenses ou sanctions, car elles créent de la distance entre l’acteur et son acte. Rien d’étonnant évidemment qu’une punition ne motive pas son récipiendaire. Mais l’excès de gratification produit le même effet : plus on est généreux avec un individu, moins il aura tendance à s’engager. Idem lorsqu’on le menace des pires tourments en cas de non-décision. La gratuité, des conditions commerciales trop favorables ou le levier de la peur sont donc rédhibitoires pour espérer conserver la sollicitude de ses prospects.
8. Les raisons d’ordre interne
Les raisons d’ordre internes engagent car elles réduisent la distance entre l’individu et son acte (norme sociale d’internalité). Un prospect doit être incité à s’auto-attribuer des motifs d’ordre personnel pour justifier son comportement. Elles sont souvent liées à de supposées qualités intrinsèques dérivant des prérogatives associées à sa fonction (responsable marketing, dirigeant…). D’où l’importance de contenus conçus spécifiquement pour chaque acteur participant à la décision dans l’entreprise (erreur fondamentale d’attribution, Ross, 1977, voir aussi l’article Effet Barnum : le pouvoir de l’horoscope pour influencer les décideurs B to B)
9. Le contexte de liberté
Pré-requis de l’internalité, c’est le facteur le plus puissant de l’engagement : donner un sentiment de libre-choix total. La tentative de contrainte désengage alors qu’un contexte de liberté justifie à lui seul un comportement. Suggérer et réitérer le fait qu’un prospect est libre de télécharger ou non un document, de contacter le fournisseur quand bon lui semble ou de n’avoir aucune obligation particulière est un facteur déclencheur d’action et de persévération dans le temps (voir aussi l’article Etude de cas B to B : les techniques de manipulation pour qualifier les leads online)
En résumé, de ces constats issus de la recherche découlent certains principes essentiels qui peuvent nous aider à optimiser une démarche d’engagement b to b :
-Le primat de l’action : il faut obtenir des actes plutôt que de chercher à convaincre. Un acte préparatoire anodin prédispose le prospect à faire ce qu’on attend de lui et à se convaincre lui-même du bien-fondé de son comportement (technique du pied-dans-la-porte).
-Le renforcement de surcroît : un avantage ou une récompense systématique ou trop élevée comme facteur déclencheur d’un contact commercial (ou d’une vente) donne au prospect des raisons externes pour agir. Or, l’engagement dépend de la capacité de l’individu à s’attribuer la responsabilité de son comportement. Les chasseurs de primes ne sont pas très fidèles…
-Le verrouillage décisionnel : une décision doit être immédiatement concrétisée pour perdurer dans le temps. Et pour augmenter encore la probabilité d’engagement, un acte préparatoire coûteux et bien visible doit précéder cette prise de décision.
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