L’esplanade du Centre Pompidou à Paris est une scène de théâtre où se produisent en représentation continue artistes de rue et saltimbanques. Entre deux files d’attente pour Mondrian ou Brancusi, cracheurs de feu, jongleurs, mimes, illusionnistes, bateleurs et bonimenteurs en tous genres tentent de capter l’attention et la générosité publique en développant pour certains une véritable expertise en psychologie sociale.
En témoigne ce manipulateur anonyme dont la stratégie et les techniques de persuasion mises en œuvre pour atteindre son objectif (obtenir un maximum de dons à la fin de sa prestation) occupent bien davantage de temps et d’énergie que le numéro lui-même.
« Quelqu’un pourrait-il me donner une cigarette ? Quelqu’un aurait-il un paquet ? »
Après quelques hésitations, un quidam réagit et notre escamoteur lui prend immédiatement le paquet des mains.
« On est d’accord, seulement une cigarette ? Une cigarette, pas plus? »
Il sort une cigarette, la tend à sa victime et range le paquet dans sa poche… Effet de surprise et rires de l’assistance.
La foule grossit à mesure.
Avant et pendant chaque manipulation, il interpelle, déclame et surtout détourne l’attention en direction opposée de ses affaires en cours.
Un peu plus tard, il demande à un enfant de se porter volontaire pour l’assister. L’âge est ici décisif : il désigne un garçon entre 7 et 10 ans. Après quelques échanges, il le remercie : « Est-ce que tu veux un bonbon ou tu préfères de l’argent ? »
Le garçonnet finit par lui répondre : « de l’argent ». Après quelques sarcasmes sur l’altruisme et la noblesse de cette nouvelle génération, il exhibe et manipule quelques pièces de monnaie et finit par lui donner un euro.
De plus en plus de promeneurs s’arrêtent.
Pour annoncer le clou du spectacle, il harangue la foule : « et maintenant, est-ce que vous voulez quelque chose d’encore plus spectaculaire et dangereux ? Est-ce que vous le voulez ? ». Il fait monter la pression et l’enthousiasme de la foule jusqu’à obtenir un « oui ! » sans ambigüité.
« Allez, encore une fois ; vous refaites exactement la même chose ! »
« Est-ce que vous allez payer ? »
Des « oui ! » et des rires mêlés.
Le nombre de spectateurs s’accroit encore.
Le spectacle s’achève, applaudissements, remerciements, sollicitation appuyée pour réclamer un petit quelque chose et les gens font la queue pour déposer une pièce dans son chapeau.
Quels enseignements peut-on en tirer pour optimiser sa stratégie d’influence commerciale ?
L’art de la persuasion déployé intuitivement par notre saltimbanque est l’illustration des principes de base de l’influence décrit par le psychologue américain Robert Cialdini (Influence : the psychology of persuasion, 1984, 1993), complétés par les travaux de Kevin Dutton sur la supersuasion et ceux de Joule, Beauvois, Guegen et Girandola sur la psychologie de l’engagement.
La preuve sociale : la foule qui s’agrège attire la foule. Le promeneur en cas d’incertitude ou d’ignorance adopte le comportement du groupe social qui lui parait dominant, auquel il a le sentiment d’appartenir ou le souhait de s'identifier (le nombre, l’indice d’attitudes positives par le rire et/ou de l’apparence physique par exemple) : focalisation sur le même point d’attention, participation et don en espèces à la fin du spectacle.
Persuasion Marketing : en b2b, les acteurs du processus d’achat ne peuvent maîtriser l’ensemble des paramètres objectifs qui leur permettraient de lever toute incertitude sur la pertinence de leur décision. La preuve sociale produit une heuristique pour éliminer les alternatives plus rapidement ; nous allons nous conformer aux choix antérieurs du plus grand nombre ou à ceux d’un groupe affinitaire : membres d’un même réseau professionnel, entreprises d’un même secteur, de taille équivalente, homologues d’un même métier, opinions et avis similaires dans son forum préféré…
Cartographier la typologie de ses clients ou celle des participants à ses évènements professionnels selon ces critères de qualification sont autant de bonnes pratiques pour générer un effet de preuve sociale.
La réciprocité, la sympathie et l’incongruité : nous avons une tendance naturelle à rendre ce qui nous a été donné spontanément et à avoir de la considération pour celui qui nous exprime de la sympathie ou de la gratitude. L’enfant qui participe « volontairement » au spectacle inspire naturellement l’empathie du public qui s’identifie à ses réactions. L’incongruité de l’échange du paquet de cigarette et le don d’argent, qui est en soit une incongruité puisque l’objectif est précisément d’en gagner, vont déclencher un sentiment de sympathie par leur côté inattendu. L'euro donné au garçonnet va générer un effet de réciprocité incitant le public à la générosité.
Son âge n’est pas choisi au hasard : plus jeune, il aurait certainement préféré un bonbon ; plus âgé, il n’aurait pas déclenché autant d’empathie car le choix de l’argent aurait été trop prévisible. L’artiste a donc identifié un profil idéal destiné à influencer les comportements de la foule.
Persuasion Marketing : en b to b, la réciprocité se déclenche par l’octroi d’une information utile qui contribue à éclairer une analyse (les causes d’un dysfonctionnement), à élever un niveau de connaissance (mieux maîtriser une problématique), à justifier de compétences (identifier les solutions potentielles) et à réduire le nombre d’alternatives (faciliter la prise de décision en limitant le risque). C’est moins l’accès au support d’information que la perception de sa valeur ajoutée qui prévaut, c’est-à-dire son degré de personnalisation par rapport au contexte du prospect.
La différenciation par le style ou la méthode génère de l’incongruité et provoque un recadrage automatique qui nous rend plus réceptif aux suggestions.
La Comedia dell’Arte a défini dès le 16ème siècle des stéréotypes pour ses personnages récurrents. Vous ne rencontrerez jamais tous les acteurs du circuit de décision mais ils doivent devenir vos cibles privilégiées : ils ont le pouvoir de faire remonter votre offre au décisionnaire. Etablir des profils-types vous permettra d’élaborer les messages et propositions d’actions pertinents pour leur permettre d’influencer le décideur en interne.
Engagement et cohérence : nous cherchons toujours à donner de la cohérence à nos actes, même les plus inhabituels. La rationalisation automatique de nos comportements entraine un effet de persévération : une première décision nous engage d’autant plus qu’elle a été produite en public et librement consentie. Le simple fait de répondre « oui » à une demande de don au milieu d’une foule constitue un acte préparatoire qui va produire de l’engagement.
Persuasion Marketing : la linéarité du tunnel de conversion n’est pas un dogme. Une décision intermédiaire suivie d’un acte préparatoire comme la saisie d’une simple adresse email pour accéder à un contenu va limiter les frictions et provoquer un début d’engagement. Le prospect cherchera alors l’adéquation avec son comportement initial lorsqu’il souhaitera collecter davantage d’informations en augmentant sa réceptivité à la prise de contact.
En conclusion, engagez dès maintenant une troupe de ménestrels, troubadours et autres baladins. Vos collaborateurs seront détendus et productifs ; et vous gagnerez beaucoup plus de clients…
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