L’utilisation de solutions élaborées de CRM pour optimiser la relation prospects et clients est un atout évident pour le développement commercial.
Mais sont-elles toujours adaptées à la réalité de l’entreprise ? Peut-on croire que la technologie va se substituer à une organisation défaillante ou complexe, à des individus soucieux de limiter leur risque à leur seuil d’incompétence ou à des modèles de développement fondés sur des habitudes ou des croyances ? Les injonctions marketing peuvent-elles toujours triompher de la réactance naturelle des individus ? Bien sûr que non.
Le faible taux d’adoption des solutions IT à vocation commerciale est probablement l’une des illustrations d’un salutaire retour au réel. Et pour justifier tout en essayant de convaincre du bien-fondé de la démarche, la dialectique de certains acteurs peut laisser perplexe...
Un dossier CRM publié en ligne cet été par un éditeur notoire expose à cet effet une série d’argumentaires et de témoignages très pertinents.
Mais dès son titre, les coupables sont vilipendés : « Stratégie CRM, les PME françaises sont-elles résistantes au changement ? » Et son exorde déclenche le réquisitoire : « Alors que l’équipement en solution CRM est en progression constante au sein des PME françaises (> 10% par an depuis 2007), nombre d’entre elles semblent résister contre vents et marées. »
Apprécions l’exercice éristique et le prédicat sous-tendu par cet implacable jugement. Puisque certaines entreprises éclairées adoptent des solutions CRM, la masse obscure des pétrifiés ne devraient pas persister bêtement à refuser l’évidence.
Le décret d’excommunication tombe alors : « Peur du changement ? Méconnaissance des bénéfices ? Les freins sont là… Peu sensibles aux nouvelles technologies, les PME résistent à l’arrivée d’un nouveau système d’information pour des raisons culturelles et professionnelles. ». Hélas, dans l’art d’avoir toujours raison, tout le monde n’est pas lecteur de Schopenhauer …
Et pour rassurer un peu plus les chefs d’entreprise, le libelle argumente que « on le sait, le changement ne se fait pas toujours dans la joie et la bonne humeur. L’implantation d’une solution CRM est une révolution technologique et culturelle qui a pourtant tous les atouts pour se faire en douceur ».
Les directeurs commerciaux ne sont pas en reste : « La gestion de la relation clients à coup de post-it, la carte de visite égarée, le devis en souffrance d’un client que personne n’a rappelé… La sacro-sainte autonomie des commerciaux a certes son charme folklorique, mais la conjoncture est difficile et les marges baissent. Alors si on changeait de méthode de travail ? »
Bien naïvement, il me semblait que l’économie était fondée sur une salubre mécanique darwinienne : s’adapter en permanence à son environnement de marché pour survivre et évoluer. Par opposition à une démarche dogmatique ou plus trivialement, arrogante qui ordonne aux individus d’acquérir de nouvelles attitudes per fas et nefas afin de les adapter à une vulgate marketing.
Fort heureusement, nombre de communicants IT n’ont pour seul projet tyrannique que d’infliger leurs névroses narcissiques à leur communauté d’amis sur Facebook. Quant aux employeurs, leurs communiqués de presse sur une nouvelle progression trimestrielle du chiffre d’affaires n’effraieront pas davantage les actionnaires…
Or, quels sont les chiffres ? Une étude IPSOS - Sage de 2009 nous donne un panorama peu amène du taux d’adoption dans les entreprises de plus de 10 salariés : 35% d'entre elles utilisent un outil bureautique de type Excel, 28% du papier, 27% un outil développé en interne et 22% seulement un logiciel dédié !
En terme d’usage, 52% des entreprise associent le CRM à la gestion des contacts clients. L’organisation de l’activité commerciale n’est citée qu’à 39% et la gestion des campagnes marketing à 26%...
Effectivement, à ce stade, c’est de la résistance mutualisée : le Mouvement de Libération Nationale et les Francs-Tireurs et Partisans réunis…
Quant aux solutions de Marketing Automation, c’est-à-dire les plateformes de gestion permettant de traiter tous les canaux de la génération de leads, de concevoir des campagnes de lead nurturing, d’automatiser les flux en mesurant précisément le R.O.I., tous les experts américains en avaient prédit une adoption massive en 2010 et le constat est pour le moins mitigé en dehors des grands leaders comme Eloqua, Pardit ou Marketo.
Et pourtant, nous sommes aux Etats-Unis.
Sirius Decisions évalue le taux d’adoption de ce type de plateforme autour de 18%, ce que beaucoup d’observateurs considèrent comme nettement surévalué. Son Vice-Président, Jonathan Block, convient même que les entreprises ont arbitré: "les collaborateurs et les processus d’abord et seulement ensuite la technologie”. Les ingrats…
Carlos Hidalgo, Président de The Annuitas Group, estime quant à lui que la confusion règne parce les utilisateurs non avertis distinguent mal ce qui relève de la réalité et de la fiction…
Et pour enfoncer le clou, les professionnels du marketing sont accusés pêle-mêle d’avoir sous-estimé les ressources réelles à mettre en œuvre en interne, d’espérer des résultats à trop court terme, voire même de ne pas représenter un marché assez large pour ce type de solutions…
Certaines postures altières semblent donc pour le moins improductives.
A moins que certains professionnels du marketing IT ne soient des spécialistes de la psychologie sociale et de la théorie de l’inoculation (McGuire, 1961).
Elle démontre que pour entrainer des individus à résister à des attaques persuasives (stigmatiser les obtus pour les convaincre des bienfaits de la technologie), il suffit de les exposer en même temps à des messages contre-attitudinaux de plus faible intensité et à des arguments qui les réfutent (en valorisant les bienfaits ET leur incapacité à changer).
Sans nul doute, les résultats sont là…
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