« Content is king ». Cette sentence du marketing online est devenue malgré elle un des innombrables clichés que les professionnels du Web font crépiter en rafale à longueur de blogs et d’exposés savants. Priorité à l’éditorial formaté à la chaîne et dupliqué sous tous les formats participatifs disponibles.
Mais il s’agit avant tout d’un contenu dont la principale fonction est de remplir un contenant ; la nature ayant, comme on sait, horreur du vide. Le concepteur de contenu s’adresse avant tout à des algorithmes ou à des utilisateurs de service après-vente plutôt qu’aux acteurs d’un circuit de décision d’achat.
Au mieux, il rédige une laborieuse hagiographie de l’annonceur à la gloire de son leadership proclamé.
Or, transformer un visiteur en prospect est une affaire de rhétorique au sens aristotélicien du terme : une technique de persuasion fondée sur l’étude et le savoir-faire d’un verbe efficace.
Comment utiliser cet art libéral au service de votre impact commercial B to B en ligne ?
Et cette expertise de la persuasion s’appelle la rhétorique. Depuis 2 500 ans, cette discipline a généré de multiples développements, des philosophes grecs aux linguistes, en passant par les courtisans du 18ème siècle et nos politiciens contemporains.
Pour Cicéron, la rhétorique a pour but de «prouver la vérité de ce qu'on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause». Elle doit donc faire émerger du vraisemblable tout en générant de la crédibilité, tant pour l’émetteur que pour son message.
Dans la conception d’Aristote, la rhétorique a pour objectif de manipuler un auditoire par l’éloquence et un système de structuration du discours en cinq phases hérité des programmes d’entrainement des rhéteurs de l’Antiquité.
1 L’Invention : l'invention consiste à trouver les arguments vrais ou vraisemblables propres à rendre la cause convaincante (Rhétorique à Herennius). C’est la recherche exhaustive de tous les moyens de persuasion relatifs à l’objectif. L'invention pose l’enjeu central de la rhétorique, le pré-requis à toute performance oratoire et commerciale, à savoir l’obligation de maîtriser parfaitement son sujet. « Rem tene, uerba sequentur » : possède le sujet, les mots suivront.
Quel est le véritable sujet dans une logique de prospection BtoB ? Ni l’entreprise qui vend, ni son offre mais le prospect qu’elle cible. Connaître les usages, les peurs, les besoins, les croyances et les comportements de ses clients potentiels pour leur renvoyer une image fidèle de ce qu’ils pensent être et surtout de ce qu’ils devraient être.
L'orateur doit ensuite invoquer ses preuves qui sont au nombre de trois pour Aristote :
-le « logos » est l'argumentation rationnelle du discours. L'argument permet par la logique de convaincre l'auditoire. Pour Aristote, il s’agit d’utiliser en particulier le syllogisme rhétorique, déduction logique dont les prémisses sont fondées sur un cliché, une opinion ou une croyance du public visé et dont évidemment les conclusions seront adaptées à ce que le prospect attend.
-le « pathos » est l'ensemble des émotions et passions que l'orateur doit susciter. Aristote consacre ainsi une partie de son oeuvre à l'examen de la psychologie des auditoires. En persuasion commerciale b2b, l’objectif est surtout de limiter et contrôler l’expression des émotions, en l’occurrence la peur du risque et de l’échec qui génèrent des freins et des objections.
-l'« èthos » est l’image que doit donner l'orateur pour inspirer confiance ; Aristote parle d’une « équité qui est presque la plus efficace des preuves ». Dans une logique de marketing b2b, c’est la notion de crédibilité et de légitimité : rendre vraisemblable sa capacité technique à fournir et livrer une solution ; montrer que son entreprise et ses collaborateurs sont légitimes sur leur marché pour le revendiquer.
2 La Disposition. La disposition étudie la structure et l’agencement du texte pour articuler les arguments selon l’ordre de la meilleure efficacité par rapport aux objectifs visés.
La tradition a retenu quatre séquences principales :
-L’exorde : c’est l’introduction du discours qui a pour but de capter l’attention et d’impliquer l’auditoire. Une bonne accroche doit être un portrait fidèle du prospects, présenter d’emblée la proposition de valeur, son bénéfice attendu et la direction à prendre pour l’obtenir.
-La narration : c’est l’exposé des faits concernant le sujet, donc le prospect. A partir de la trame du logos, cette narration doit être chronologique, éliminer le superflu et paraître vraisemblable dans l’énoncé des arguments.
-La digression : à l’origine, sa fonction est de distraire l’auditoire. Dans le cadre commercial, la digression a pour but de créer une connivence avec le prospect pour obtenir son accord explicite à des moments-clés de l’argumentation. L’ironie est considérée comme l’une des techniques les plus efficaces pour le faire raisonner et adhérer à la démarche de l’interlocuteur.
-La péroraison : c’est la conclusion du discours qui fait appel à des procédés d’amplification (effets et figures de style) pour appuyer le côté décisif du propos et qui résume l’argumentation. Il s’agit de convoquer le pathos et de jouer sur les failles de l’individu, donc sur ses peurs.
3 L’Elocution. L’élocution est la rédaction du discours qui s’appuie sur le style et sur les figures de rhétoriques. Le tryptique du style se résume en : expliquer, émouvoir et plaire.
Que faut-il surveiller en priorité dans un argumentaire BtoB ?
-Le choix des mots : l’èthos doit nous guider pour sélectionner des termes qui produisent un effet de connivence et de similarité, c’est-à-dire l’utilisation des mots utilisés par le prospect pendant sa recherche d‘informations sur le Web.
-Le rythme des phrases : seule la simplicité peut donner de la fluidité à vos propos, particulièrement en mode de lecture Internet où le survol est privilégié. Adoptez ainsi des phrases de moins de 10 mots en moyenne sans structure grammaticale compliquée.
-Le rejet du jargon : les termes techniques ou spécialisés creusent l’écart avec le prospect. Celui-ci adhère seulement à ce qui lui paraît familier.
-Adoption de figures adaptées aux propos et à l’interlocuteur : toute créativité dans le style et la métaphore est périlleuse car elle peut rendre la compréhension difficile ou même provoquer un rejet selon le niveau et les influences culturelles du prospect.
Pour résumer, il existe deux règles à respecter absolument : la convenance, c’est-à-dire l’usage d’un style adapté à la chronologie du message et au type d’argument ; et la clarté, ou comment adapter son style à l’auditoire.
4 L’Action. L’action est la prononciation du discours. A l’oral, la gestuelle et la voix sont décisifs dans le processus de persuasion mais comment transposer cet impact sur le Web ?
La mise en relief du message sur Internet est réalisée par l’ergonomie et la disposition de l’information sur la page.
Les messages les plus stratégiques doivent être situés dans des zones spécifiques, là où se concentrent l’attention et le regard. Les points clés doivent être prioritairement disposés selon un axe vertical, sens de la lecture sur Internet. Mais surtout, il faut libérer l’internaute de tout effort de réflexion, de repérage ou de déduction : une interface efficace doit être pensée pour l’usage d’un enfant.
5 La Mémoire. C’est l’art de retenir son discours. Cette capacité à porter son message dans le temps influe sur l’auditoire. Mais là aussi, quelle transposition possible ? Dans la répétition des éléments clés pendant la navigation de l’internaute aux endroits stratégiques. Car le prospect est par nature amnésique : il ne mémorise pas l’information présentée parce qu’il se contente de survoler du regard le contenu d’une page Web.
24 heures suffisent pour oublier le téléchargement d’un document sur un site ou toute autre action d’interactivité. Il faut marteler le message pendant et surtout après la visite si l’on a pu collecter ses coordonnées lors de son premier passage.
En conclusion, les pratiques millénaires de la persuasion restent d’une redoutable efficacité car l’individu n’a pas évolué : les mêmes ressorts psychologiques, les mêmes objectifs personnels et les mêmes comportements. Pourquoi réinventer l’eau tiède ?
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